Lettre à un jeune activiste en des temps difficiles
Lettre ouverte de la psychanalyste-conteuse Clarissa Pinkola Estés à toutes les âmes conscientes et éveillées.
Ne perdez pas espoir. Nous sommes faits pour cette époque. Ces derniers temps, beaucoup d’entre vous m’ont témoigné de leur profonde préoccupation, et ce à juste titre. Vous êtes soucieux de l’état de notre monde. C’est vrai qu’il faut avoir les tripes bien accrochées pour supporter les couleuvres qu’on essaie de nous faire avaler au nom de la “normalité”, de la “modernité”, et au prix de la destruction du fondement de notre culture. Le mépris abject pour ce que l’âme trouve de plus précieux, de plus irremplaçable, la corruption des plus grands idéaux sont devenus, dans certaines grandes sphères sociétales, la “nouvelle norme”… Tristement grotesque.
Difficile de dire quel sujet brûlant a le plus perturbé la vie, le monde, les croyances de chacun. Notre époque est celle d’un ahurissement quasi-quotidien et d’une colère souvent justifiée face aux dernières dégradations de ce qui fût le plus cher aux yeux des humanistes et des visionnaires.
…Vous êtes justes dans vos constats. Le lustre et l’orgueil dont certains ont fait preuve en agissant si haineusement sur des enfants, des personnes âgées, le citoyen moyen, les pauvres, les isolés et les démunis est insupportable. Et pourtant… je vous en supplie, je vous le demande, ne vous asséchez pas l’esprit à pleurer sur ces temps difficiles. Et surtout, ne perdez pas espoir. En particulier parce que, précisément ; nous sommes faits pour cette époque. Oui. Depuis des années, nous étudions, nous pratiquons, nous sommes en apprentissage pour et attendons ces temps-ci pour nous engager. Je ne vous dirai jamais assez à quel point nous sommes les leaders que nous attendions et que nous avons étés élevés, depuis l’enfance, pour ce moment précis.
J’ai grandi dans les Grands Lacs et je reconnais un bateau prêt pour la mer au premier coup d’œil. Pour ce qui est de l’éveil des consciences, il n’y a jamais eu autant de vaisseaux prêts sur les eaux de par le monde qu’aujourd’hui. Et ils sont bien approvisionnés et capables de communiquer entre eux comme jamais auparavant dans l’histoire de l’humanité. Je voudrais vous prendre les mains un instant et vous assurer que vous êtes bien armés pour ces temps. Malgré vos périodes de doutes, vos frustrations de ne pouvoir œuvrer pour le changement ou même le sentiment d’avoir complètement perdu pied… vous n’êtes pas sans ressources, et vous n’êtes pas seuls. Regardez par-delà la proue ; des milliers de bateaux d’âmes justes sont sur les eaux avec vous. Au plus profond de vos os, vous l’avez toujours su. Et même si votre placage tremble à chaque déferlante, je vous assure que la longue charpente qui compose votre proue et votre gouvernail viennent d’une forêt plus grande encore. Ce bois-là est connu pour contrer les tempêtes, tenir ensemble, résister, et avancer, sereinement.
…Nous sommes en apprentissage pour des jours sombres comme ceux-ci depuis le jour où nous avons décidé de descendre sur Terre. Depuis des décennies, dans le monde entier, des âmes exactement comme nous sont tombées, laissées pour mortes, de différentes façons, encore et encore. Écrasées à cause de leur naïveté, par manque d’amour, réalisant soudainement dans quelle situation mortifère elles se trouvent, ne voyant pas arriver le danger assez tôt, tombant dans les traquenards ou pris d’assaut par divers chocs personnels ou culturels extrêmes. Nous avons tous des “histoires d’écorchés”, maintenant, rappelez-vous bien que nous avons aussi, par nécessité, perfectionné notre talent pour la résurrection. Encore et encore, nous avons été la preuve vivante que tout ce qui a été exilé, perdu, coulé peut être ramené à la vie. C’est aussi solidement vrai pour les mondes détruits autour de nous, que ça l’a été pour nous-mêmes, quand nous fûmes autrefois mortellement blessés.
…Bien que nous ne soyons pas invulnérables, notre capacité à nous relever nous soutient, pour rire à la face des cyniques qui disent “tu rêves!”, ou “le management avant la pitié”, entre autres preuves d’absence totale de conscience. Cette capacité, et notre expérience d’avoir connu l’enfer et en être revenus, ne fût-ce qu’à un court moment dans notre vie, fait de nous des vaisseaux solides. Même si vous ne le sentez pas, vous l’êtes. Et si votre ego, si chétif soit-il, essaie de contester votre grandeur d’âme, le plus petit Moi ne peut jamais longtemps diriger le plus grand Moi. En matière de mort & renaissance, vous avez passé tous les tests haut-la-main. Croyez en l’évidence de tous ces challenges relevés. La question est : êtes-vous toujours debout ? La réponse est : Oui ! (et pas d’adverbes tels que “à peu près” tolérés ici). Si vous êtes toujours debout, drapeaux en lambeaux ou pas, alors vous pouvez faire de grandes choses.
Vous avez passé la barre, vous l’avez même mise plus haut. Vous êtes prêt à naviguer.
Dans toutes les époques difficiles, il y a une tendance à verser dans le pessimisme sur tout ce qui ne va pas, tout ce qui est mal en point dans le monde. Ne vous focalisez pas là-dessus. Ne vous rendez pas malade d’accablement. Il y a aussi une tendance à s’affaiblir en s’acharnant sur ce qui est hors de portée, ou pas encore à notre portée. Ne vous y attardez pas non plus. Ce serait gaspiller le vent sans hisser les voiles. Chacun d’entre nous est indispensable sur cette Terre, c’est tout ce qu’il faut savoir.
Et si nous aurons à faire face à des résistances, nous rencontrerons aussi d’autres grandes âmes, qui nous hèleront, nous aimeront et nous guideront, et nous les reconnaîtrons quand elles apparaîtront. Ne disiez-vous pas que vous y croyiez? Ne disiez-vous pas que vous aspiriez à une parole plus sage ? N’avez vous pas demandé plus de grâce ? Avez vous oublié que toucher la grâce, c’est adhérer à cette parole plus sage? Vous tous avez toutes les ressources dont vous avez besoin pour affronter n’importe quelle mer, glisser sur n’importe quelle vague.
Dans la langue des aviateurs et des marins, il ne tient qu’à nous de foncer maintenant, toutes voiles dehors. Comprenez bien le paradoxe : si vous étudiez la physique d’une trombe d’eau, vous verrez que le tourbillon extérieur tourne bien plus vite que l’intérieur. Calmer la tempête signifie calmer la couche extérieure, par n’importe quelle parade, pour qu’elle tourne moins, afin de lui donner la même force que l’intérieure, au cœur beaucoup moins volatile, jusqu’à ce que ce jadis vicieux entonnoir retombe sur terre, descende, et que tout soit à nouveau calme.
L’une des étapes les plus importantes pour calmer la tempête est de ne pas se laisser prendre dans une rafale d’hyperémotivité ou de désespoir – qui contribue à accélérer le tourbillon. Notre tâche n’est pas de sauver le monde entier, mais de nous efforcer à réparer la partie qui est à notre portée. Chaque petite chose tranquille faite par une âme pour aider une autre, pour soutenir une portion de ce pauvre monde en souffrance, sera d’une immense aide.
Nul ne sait quelles actions ou qui fera la différence pour atteindre la masse critique qui fera pencher vers un changement durable. Ce dont nous avons besoin pour un changement significatif, c’est la somme de ces actions – ajouter, associer à, faire plus, continuer. Nous savons que “n’importe qui” ne peut pas nous amener la justice et la paix, mais seulement un groupe déterminé, qui ne baissera pas les bras à la première, deuxième, ni même la centième rafale.
…L’une des actions les plus puissantes et apaisantes que vous puissiez entreprendre pour faire bouger les choses dans un monde chaotique : rester debout et vous affirmer de toute votre âme. Dans des temps sombres, une telle âme brille comme l’or. La lumière de l’âme brille de mille feux et peut envoyer des signaux… et susciter les occasions d’engendrer plus de lumière. Montrer la lanterne de l’âme en des temps ombragés comme les nôtres – être intègre et compatissant envers les autres aussi – sont des actes de courage immense et de grande nécessité. Les âmes combattantes attitrent ainsi la lumière d’autres âmes bien allumées et qui le font savoir. Si vous vouliez calmer le tumulte, voilà ce que vous pouvez faire de plus efficace.
On s’accroche de toutes nos forces à des maximes du style “la réussite est juste au coin de la rue, même si on en voit toujours pas la couleur”… et pourtant les moments de découragement sont nombreux. J’ai, moi aussi, éprouvé du désespoir maintes fois dans ma vie. Mais je ne le laisse pas s’installer, je ne l’entretiens pas. Il n’est pas permis de manger dans mon assiette. Pour la simple raison que, au plus profond de mes os, je sais ceci, et vous le savez aussi : il ne peut y avoir de désespoir quand on sait la raison pour laquelle on est sur Terre. Les bonnes paroles dites, les bonnes actions ne sont pas les nôtres ; elles sont celles de la Sagesse qui nous a envoyés ici, et qui agit à travers nous.
Dans cet esprit, j’espère que vous écrirez ceci sur votre mur : “quand un grand vaisseau est amarré au port, il est sans aucun doute en sécurité. Mais… les grands vaisseaux n’ont pas été construits pour être au port.”
Avec toute mon affection, et mes prières pour que vous n’oubliiez pas d’où vous venez, et ce pour quoi vous êtes venu sur cette magnifique, indispensable Terre.
Clarissa Pinkola Estés - Source originale
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