[extrait] rêve et "conscience lucide"

        


        "Pour comprendre la différence entre les états de conscience, il nous faut revenir sur le premier, qui est le sommeil. C’est un état de conscience entièrement subjectif. L’homme y est englouti dans ses rêves — peu importe qu’il en garde ou non le souvenir. Même si quelques impressions réelles atteignent le dormeur, telles que sons, voix, chaleur, froid, sensations de son propre corps, elles n’éveillent en lui que des images subjectives fantastiques. Puis l’homme s’éveille. À première vue, c’est un état de conscience tout à fait différent. Il peut se mouvoir, parler avec d’autres personnes, faire des projets, voir des dangers, les éviter, et ainsi de suite. Il paraît raisonnable de penser qu’il se trouve dans une meilleure situation que lorsqu’il était endormi. Mais si nous voyons les choses un peu plus à fond, si nous jetons un regard sur son monde intérieur, sur ses pensées, sur les causes de ses actions, nous comprendrons qu’il est presque dans le même état que lorsqu’il dormait. C’est même pire, parce que dans le sommeil il est passif, ce qui veut dire qu’il ne peut rien faire. Dans l’état de veille au contraire, il peut agir tout le temps et les résultats de ses actions se répercuteront sur lui et sur son entourage. Et cependant il ne se souvient pas de lui-même. Il est une machine, tout lui arrive. Il ne peut pas arrêter le flot de ses pensées, il ne peut pas contrôler son imagination, ses émotions, son attention. Il vit dans un monde subjectif de “j’aime”, “je n’aime pas”, “cela me plaît”, “cela ne me plaît pas”, “j’ai envie”, “je n’ai pas envie”, c’est-à-dire un monde fait de ce qu’il croit aimer ou ne pas aimer, désirer ou ne pas désirer. Il ne voit pas le monde réel. Le monde réel lui est caché par le mur de son imagination. Il vit dans le sommeil. Il dort. Et ce qu’il appelle sa “conscience lucide” n’est que sommeil — et un sommeil beaucoup plus dangereux que son sommeil de la nuit, dans son lit.
(...)
        Ces deux états de conscience, sommeil et état de veille, sont aussi subjectifs l’un que l’autre. Ce n’est qu’en commençant à se rappeler lui-même que l’homme peut réellement s’éveiller. Autour de lui toute la vie prend alors un aspect et un sens différents. Il la voit comme une vie de gens endormis, une vie de sommeil. Tout ce que les gens disent, tout ce qu’ils font, ils le disent et le font dans le sommeil. Rien de cela ne peut donc avoir la moindre valeur. Seul le réveil, et ce qui mène au réveil, a une valeur réelle.

    Combien de fois m’avez-vous demandé s’il ne serait pas possible d’arrêter les guerres ? Certainement, ce serait possible. Il suffirait que les gens s’éveillent. Cela semble bien peu de chose. Rien au contraire ne saurait être plus difficile, parce que le sommeil est amené et maintenu par toute la vie ambiante, par toutes les conditions de l’ambiance.

        Comment s’éveiller ? Comment échapper à ce sommeil ? Ces questions sont les plus importantes, les plus vitales qu’un homme ait à se poser. "

Ouspensky - Fragments d'un enseignement inconnu - 1949 - Stock - pp 207-208



Dans la suite du texte, Ouspensky définit ce qu'il entend par "s'éveiller". Il rejoindra globalement dans son développement ce que l'on n'appelait pas encore à l'époque  "l'attention consciente" (Kabat-Zinn) ou "la pleine conscience" (thich nhat hanh). Chemin qui, sans le nommer, mène à terme à ce qui peut être comparé à "l'éveil" dans le Bouddhisme.

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