[extrait] L'humilité


     L’humilité est une vertu humble: elle doute même d’être une vertu! Qui se vanterait de la sienne montrerait simplement qu’il en manque. Cela toutefois ne prouve rien: d’aucune vertu l’on ne doit se vanter, ni même être fier, et c’est ce qu’enseigne l’humilité. Elle rend les vertus discrètes, comme inaperçues d’elles-mêmes, presque déniées. Inconscience? C’est plutôt une conscience extrême des limites de toute vertu, et de soi. Cette discrétion est la marque — elle-même discrète — d’une lucidité sans faille et d’une exigence sans faiblesses. L’humilité n’est pas le mépris de soi, ou c’est un mépris sans méprise. Elle n’est pas ignorance de ce qu’on est, mais plutôt connaissance, ou reconnaissance, de tout ce qu’on n’est pas. C’est sa limite, puisqu’elle porte sur un néant. Mais c’est en quoi aussi elle est humaine : « Tant sage qu’il voudra, mais enfin c’est un homme: qu’est-il plus caduc, plus misérable et plus de néant ? » Sagesse de Montaigne : sagesse de l’humilité. Il est absurde de vouloir dépasser l’homme, ce qu’on ne peut, ce qu’on ne doit. L’humilité est vertu lucide, toujours insatisfaite d’elle-même, mais qui le serait plus encore de ne pas l’être. C’est la vertu de l’homme qui sait n’être pas Dieu.

André Comte-Sponville - Texte complet

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