[article] Devenir soi-même
Carl G. Jung a défini le processus d'individuation en 1916. Dans de nombreux aspects, ce concept entre en résonance avec la notion de Soi des traditions orientales.
"QU’EST-CE QUE L’INDIVIDUATION ?
Lors du processus d’individuation, l’individu parcourt quatre étapes et rencontre trois archétypes ou modèles fondamentaux. Il s’agit d’une émergence autonome hors de l’inconscient collectif, océan d’énergie psychique commune à toute l’humanité où « flotte » la singularité de l’individu (sa persona et son ombre ou inconscient individuel). Les archétypes, foyers ou noyaux autonomes et organisés où s’accumule l’énergie vitale, s’expriment à travers des symboles qui agissent en transformateurs d’énergie.
LES ÉTAPES DU PROCESSUS
Première étape : dépossession du moi
Notre moi s’imagine être le centre de la psyché, alors qu’il n’est qu’une de ses structures. S’identifier toute sa vie à son masque, à sa persona, interdit le processus d’individuation et empêche de devenir soi-même. Cette étape permet de découvrir que le moi-persona n’est pas « tout ». Se déconditionner – « se désidentifier » de son masque – va de pair avec une ouverture qui déstabilise pour mieux libérer et restructurer à un niveau supérieur de complexité.
Deuxième étape : la rencontre avec l’ombre
Ne plus juger les êtres et les expériences selon des conventions et des critères de reconnaissance sociale rend capable d’ accepter des systèmes de valeurs autres que le sien, voire opposés, et de découvrir ses propres défauts. Ne cherchant plus à se justifier ou à moraliser, on est prêt à accepter la partie obscure de soi-même, même si l’assimilation de l’ombre provoque parfois, temporairement, des comportements « choquants ». L’individu cesse de juger autrui, car il a compris le côté relatif du bien et du mal. Plus compréhensif, plus fraternel, plus profond et plus impartial, il dépasse le dogmatisme, moral ou anti-moral.
Troisième étape : la rencontre avec l’archétype sexuel (anima ou animus)
Elle consiste pour l’homme à rencontrer la partie féminine inconsciente de sa psyché (anima) et pour la femme sa partie masculine (animus). La perception de l’archétype passe par des mutations qui iront par quatre étapes : pour l’homme, de la femme-animale jusqu’à l’incarnation de la sagesse ; pour la femme, de l’homme vital et athlétique au philosophe.
L’archétype sexuel, pleinement affronté, perd son pouvoir de fascination et devient une fonction psychique intermédiaire, située entre la singularité du sujet et les profondeurs de l’inconscient collectif. Anima n’est plus la femme fatale mais l’âme inspiratrice. Animus cesse d’imposer ses dogmes et ses normes conventionnelles. Ils deviennent sources d’inspiration et de créativité. Alors peuvent fusionner la connaissance (logos) du masculin et le sentiment (eros) du féminin en un mariage sacré.
Quatrième étape : la rencontre avec l’archétype « lumière »
Le moi se trouve confronté à une potentialité éblouissante, source de pouvoir, « l’archétype lumière », accompagné d’images puissantes suggérant omnipotence et omniprésence. Celui qui cède à la tentation de s’identifier à cet archétype se sent détenteur d’un pouvoir suprême et tombe dans la psychose de se prendre pour Dieu, un prophète ou un envoyé.
L’inflation est si fréquente dans cette phase que « tout le monde y fait une incursion, à un moment ou à un autre. L’individu ne s’en sort qu’en faisant acte d’humilité ». « Il survient alors, de la transformation totale : un mystérieux archétype latent s’active, dont les propriétés ne se découvrent que si le sujet a pu se libérer de l’inflation : l’archétype du Soi. »
L’archétype du Soi : aboutissement du processus d’individuation
Après cette étape, toutes les structures de l’individu commencent à se réorganiser vers un centre qui est le Soi. Le moi individualisé a atteint son but, le point central dépassant toute définition rationnelle, le Soi qui correspond pour Jung à « Dieu en nous ». « L’individuation n’exclut pas l’univers, elle l’inclut, dit Jung, car elle réintègre l’homme particulier au sein de l’archétype de l’homme universel, porteur de toute l’expérience de l’humanité."
Laura Winckler et Marie-FrançoiseTouret dans la revue Acropolis N° 151 (juin-juillet 1997)
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