[extrait] La vision intérieure
— Mais que voit cette vision intérieure ?
— Dès qu'elle est réveillée, elle n'est pas du tout capable de voir les objets éclatants. Il faut donc commencer par habituer l'âme elle-même à voir les « belles occupations », puis les beaux travaux, non pas ceux des techniques, mais ceux des hommes de bien comme on les appelle. Alors, elle pourra voir l'âme de ceux qui accomplissent ces « beaux travaux ».
— Comment donc pourras-tu voir la sorte de beauté que possède l'âme bonne ?
— Retourne en toi-même et vois. Et si tu ne vois pas encore ta propre beauté, fais comme le fabriquant qui doit rendre une statue belle : il enlève ceci, efface cela, polit et nettoie jusqu'à ce qu'une belle apparence se dégage de la statue ; de même pour toi, enlève le superflu, redresse ce qui est tordu et, purifiant tout ce qui est ténébreux, travaille à être resplendissant. Ne cesse de sculpter ta propre statue jusqu'à ce que brille en toi la splendeur divine de la vertu et que tu voies la tempérance qui siège sur son « auguste trône ». Si tu es devenu cela et que tu te vois dans une telle disposition, alors tu es devenu pur et il n'y a plus aucun obstacle qui s'opposerait à devenir ainsi un; tu n'as plus dans ton rapport à toi-même un autre élément qui se mélange à toi, mais tu seras devenu alors entièrement une unique et authentique lumière ; elle n'est pas mesurée par une grandeur ou un contour qui en limiterait l'éclat en l'amoindrissant ou, au contraire, par son illimitation, en pourrait augmenter l'ampleur: elle est absolument sans mesure, comme peut l'être ce qui est plus grand que toute mesure et supérieur à toute quantité. Si tu deviens cela, tu pourras te voir. Étant devenu une vision, aie confiance en toi, car, même ici-bas, tu es dès à présent parvenu à monter et tu n'as plus besoin qu'on te montre le chemin ; le regard tendu, vois ! C'est lui, en effet, ce regard, le seul œil qui puisse voir la grandeur du beau. Et si cet œil arrive jusqu'à cette contemplation alors qu'il est chassieux à cause des vices, impur ou faible, n'étant pas du tout capable, à cause de sa lâcheté, de voir les splendeurs, il ne verra rien, pas même si un autre lui montre ce qui est là et qui peut être vu. Celui qui voit, en effet, doit s'être rendu apparenté et semblable à ce qui est vu, pour parvenir à la contemplation. Assurément, jamais l’œil ne verrait le soleil sans être devenu de la même nature que le soleil, et l'âme ne pourrait voir le beau, sans être devenue belle.
Plotin (205-270) - Traité 1-6 - GF Flammarion
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