[conte] La logique de la bonté
"Ce paysan-là voyageait sur l’un de ces trains asthmatiques qui se frayent un chemin feuillu dans la forêt amazonienne, du côté de Machu Picchu. Il était assis parmi d’autres, les pieds pendant hors du wagon – une plate-forme de planches qui grinçait et bringuebalait aux moindres courbes de la voie. Comme ils allaient ainsi, buvant et bavardant, voilà que la sandale droite tombe du pied du paysan sur le sentier, au bord des rails. Il grogne un juron dépité, puis il rit, hausse les épaules, prend l’autre sandale au pied gauche et la jette sur le chemin. Ses compagnons, autour de lui, s’étonnent, s’esclaffent, lui disent, en tapotant du doigt leur front :
– Hé, ho, péon, tu te sens bien ?
L’autre répond tranquillement :
– Avec une seule sandale, que pouvais-je faire ? Boiter. Si quelqu’un la trouve en passant, que pourra-t-il en faire ? Rien. Mieux vaut pour lui qu’il ait les deux.
Les savants illettrés nomment cette façon de faire : la logique de la bonté."
Henri Gougaud - Petits Contes De Sagesse Pour Temps Turbulents - Albin Michel
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