[extrait] La solidarité

       

         Pour Kropotkine*, les mieux adaptés ne sont pas les plus agressifs, mais les plus solidaires. Et même, « dans la grande lutte pour la vie, pour la plénitude maximale et l’intensité de la vie avec la plus petite perte d’énergie possible, la sélection naturelle cherche toujours le moyen d’éviter autant qu’elle le peut la compétition ». À ses yeux, « à la longue, la pratique de la solidarité se révèle bien plus avantageuse pour l’espèce que le développement des individus doués de l’instinct de saccage. Les plus rusés et les plus méchants sont éliminés en faveur de ceux qui comprennent les avantages de la vie sociale et du soutien mutuel. » Dans la lutte pour la vie, la meilleure des armes consiste dans la solidarité et l’association. À ce stade de notre histoire où l’effondrement du communisme a laissé la voie libre au libéralisme, idéologie désormais hyperdominante sur la planète entière, une œuvre comme celle de Kropotkine, trop peu connue, viendrait utilement mitiger la doctrine des ultralibéraux, voire même celle de certaines formes de socialisme devenues elles aussi on ne peut plus édulcorées. 

    Tel est aussi l’avis du biologiste et biosociologue japonais Kinji Imanishi qui conteste vigoureusement les thèses des néodarwiniens privilégiant le concept de lutte pour la vie au détriment de la solidarité et du mutualisme. Clairement, pour lui, la coopération l’emporte sur la compétition. Son œuvre attire l’attention sur l’Orient, fidèle à son fonds religieux qui prône la bienveillance, l’organisation coordonnée, la solidarité. L'Occident, au contraire, en complète contradiction avec son fonds culturel, le christianisme, privilégie systématiquement l’individualisme, le goût de la lutte et de la compétition, des concepts qui sont au cœur de la mondialisation.

        Il est en tout cas aujourd’hui avéré que la nature n’est en aucune manière celle qu’ont décrite les émules trop zélés de Darwin. En témoignent les exemples choisis et développés dans cet ouvrage, qui n’ont qu’une valeur indicative tant ils sont incomplets. Car les formes d’association, d’entraide et d’altruisme sont innombrables, comme le montre fort bien Kropotkine à propos du monde animal qu’il connaît bien en tant que naturaliste et qu’il a longuement étudié en Sibérie. Il n’est donc plus possible, sous peine d’imposture, d’invoquer l’œuvre de Darwin à la rescousse des idées libérales pures et dures, le libéralisme ne trouvant un début de justification que s’il est fortement tempéré par la mise en œuvre de politiques sociales de nature à mettre l’économie au service des hommes, et non l’inverse. Telle est d’ailleurs, depuis plus d’un siècle, la doctrine constante de l’Église catholique qui renvoie dos à dos marxisme et capitalisme, et plaide pour des économies plus respectueuse de la dignité des personnes.

        Après l’écroulement du mur de Berlin, le triomphe du libéralisme s’est exprimé par l’émergence de concepts comme dérégulation, déréglementation, etc. Chacun est de plus en plus libre de faire n’importe quoi, les marchés ayant toujours le dernier mot. Telle est la loi de la jungle, précisément. Or, qui ne voit que le libéralisme ne saura trouver de justification recevable que s’il est fermement encadré par des règles précises prenant en compte, dans la marche des entreprises, les préoccupations sociales, sanitaires, environnementales, et laissant du coup toute leur place à l’économie solidaire et au développement durable.

Jean-Marie PeltLa Solidarité : Chez les plantes, les animaux, les humains - Le livre de poche


Kropotkine - Géographe, explorateur, zoologiste, anthropologue, géologue1 et théoricien du communisme libertaire (1842-1921)

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